lundi 20 novembre 2017

L'univers de Sertorius


Sertorius : Magic, Power, Glory (2014) est un jeu de rôle antico-fantastique de Brendan Davis (et alii) qui propose de jouer des sortes de demi-dieux dans un univers très détaillé. Les personnages ne sont donc pas des aventuriers mais font partie des plus grands héros de ce monde, ou potentiellement des pires monstres s'ils succombent à l'hubris.



La même compagnie Bedrock Games avait déjà publié un joli jeu historico-fantastique, Servants of Gaius, où on jouait des agents de l'Empereur Caligula (qui n'y était pas un tyran fou mais un demi-dieu héroïque) luttant contre les machinations cthuluoïdes du Culte de Neptune. Sertorius a le même système de base (le système dit "Network" qui ressemble un peu à un pool de dés à la World of Darkness) mais l'univers, nommé Gamandria, est plus proche de conventions du médiéval fantastique tolkienien, avec quelques allusions claires à l'Antiquité méditerranéenne et proche-orientale (en gros, les Orcs sont les Romains et les Humains sont notamment les Byzantins ou les Arabes). En un sens, c'est un peu comme si on jouait tous des Caligula tel qu'il avait été réinterprété dans Servants of Gaius.


Mythologie : les Huit Dieux et les Sertorii (p. 209-220)

On sentira assez vite une influence de Glorantha sur Gamandria.

Il y avait 8 dieux principaux qui correspondent à 8 espèces. Mais à présent, il n'y a plus que 7 divinités principales.

A l'Origine (le Plan des Origines, Aitia, où vivent les Dieux), le Jour était perpétuel. Senga, dieu de la puissance et de l'énergie, représenté comme un Lion, créa une espèce au sang chaud et puissante à son image, qu'on appelle depuis les Ogres.

Senga épousa l'énigmatique Sarilla, déesse des émotions, de l'amour et de la haine et elle créa les reptiles au sang froid et l'espèce intelligente des Hasri, les hommes-serpents. Senga brillait comme un Soleil fixe et Sarilla brillait comme sa Lune.



Ranua, déesse de la vie sauvage et soeur de Senga, créa aussi son espèce, les Elfes, et c'est la seule espèce qui même dans le Temps a pu préserver son immortalité en maintenant le nomadisme des origines (et c'est pourquoi les Elfes ont un lien avec des montures comme les chevaux).

Lorgo, le dieu sévère des montagnes, des séismes et des volcans, créa l'espèce dure, industrieuse et sédentaire des Orcs (dont sont aussi issus leurs cousins, les petits Kobolds). Son frère Ramos, le dieu des vents, créa les Humains (ainsi que leurs cousins mutants monstrueux, les Blemmyes acéphales). Lorgo des Montagnes et Ramos des Airs, malgré leur inimitié, gardent un lien avec les Oiseaux (et c'est pourquoi les Empires des Orcs et des Humains ont pour symbole des Aigles, même si les Orcs préfèrent monter de lourds Eléphants, symboles du massif Lorgo).

Sul, dieu de la glèbe humide, de l'harmonie et de l'eau douce et fertile, créa l'espèce pacifique des Nains. Lurolai, sa soeur, déesse de l'eau salée et des tempêtes maritimes, créa l'espèce des Halflings navigateurs. Nains des terres et Halflings des mers ont conservé ce lien de leur divinité.

Enfin, Sur Vanker, dieu du froid et de la violence, créa l'espèce sauvages des Gru, humanoïdes berserks des glaces.

A l'origine, les Ogres, créés par le Lion Solaire, étaient l'espèce la plus puissante et les autres lui étaient subordonnées, sauf les inflexibles Orcs. On sait que Lorgo, le dieu des volcans, s'opposait à Senga, le dieu du soleil, et cette opposition entre deux forces, le feu chthonien et le feu éthéré commença la Guerre des Dieux.

Et finalement, arriva la Mort de Dieu, ce qu'on appelle l'Angoisse.

Le Roi des Ogres, dont la démesure n'avait plus aucune borne, réussit à commettre l'impossible. Il tua son Créateur, Senga, pour se hausser sur le Trône suprême et lui voler toute sa Puissance. Des mythes contradictoires disent par exemple qu'il aurait été aidé par un Dieu. Beaucoup de cultures accusent le dieu Lorgo (c'est l'accusation de Ranua et des Elfes, qui haïssent les Orcs, mais c'est le soupçon partagé par Ramos et des Humains). D'autres disent que la vraie responsable serait la déesse-serpent Sarilla (qui aurait en réalité manipulé le Roi des Ogres pour occir son mari et pour créer ainsi le Temps). Un culte mystique dit même que tous les autres dieux seraient tous coupables de ce sacrifice ou que Sarilla seule saurait le secret pour restaurer l'Âge d'or.

Depuis, le Soleil doit perpétuellement décliner et rejoindre les Ténèbres (Gamandria est une sphère mais le cosmos est géocentrique). La Lune de Sarilla règne maintenant sur le passage du temps et sur la nuit. Et les espèces devinrent mortelles (sauf les Elfes de Ranua, qui peuvent certes finir par être emportés par le désir de mourir avec gloire).

Le Roi des Ogres ne put maintenir en lui la Puissance divine et il explosa pour devenir un Lugubre (Grim), un être consumé par les émotions qui déchirent la structure de Gamandria. Et les Ogres furent maudits et devinrent un peuple brutal.

L'Histoire et l'arrivée des Sertorii

Ce fut donc le début du Temps, le calendrier qu'on appelle Après l'Angoisse.

Les Dieux, qui avaient découvert que même eux pouvaient être détruits, se réfugièrent dans des sanctuaires, divers lieux sacrés où ils évitent souvent d'intervenir directement dans les affaires des mortels. Trois dieux, Ramos de l'Air, Sul de la Glèbe et Lurolai de la Mer, créèrent une alliance contre Lorgo (qui était accusé d'être en partie responsable de l'Angoisse et de la sortir de l'ère archétypale d'Aitia. Ramos, dieu justicier, est l'un des rares à s'être manifesté plusieurs fois aux Humains et à avoir créé une église assez manichéenne qui suit les commandements de cette Triade.

Mais la Puissance divine du Soleil n'était pas morte. Trois cents ans après le début des Temps mortels, un Orc nommé Sertorius (qui donne son nom au jeu) hérita d'une part de cette Puissance et acquit de puissants pouvoirs magiques.

Il devint l'Empereur des Orcs, fondateur de l'Empire de Caelum au nord de Gamandria. Mais Sertorius finit assassiné et les Orcs instituèrent une République fondée sur l'interdiction de tout pouvoir aussi abusif aussi bien magique que politique que celui du tyran Sertorius.

Depuis, le Sang divin de Senga touche des individus de n'importe quelle espèce (si ce n'est les Ogres, semble-t-il, qui sont maudits et qui ne gardent que leur force mais pas les dons du Sang divin).

Tous ceux qui acquièrent cette Puissance deviennent des demi-dieux qu'on appelle par référence au tyran orc les Sertorii et il en apparaît à chaque époque. Ils sont les seuls à avoir de tels pouvoirs paranormaux. Ils ne sont plus si rares que cela, sans doute plusieurs milliers dans le monde, de puissance certes variée.

Mais s'ils veulent monter en puissance, ils doivent déchaîner une de leurs émotions fondamentales (Amour, Haine, Peine ou Crainte) et cela risque alors de les transformer en un Lugubre, voire de transformer tout l'environnement autour d'eux en un Lieu Lugubre déformé par ces émotions. Les Sertorii sont donc à la fois vénérés comme des divinités mineures mais aussi craints comme des êtres de passions qui peuvent s'effondrer dans la démesure et corrompre l'univers lui-même autour d'eux. La plupart des Monstres et des lieux périlleux du jeu sont en fait des Lugubres, d'anciens Sertorii ou des effets indésirables des excès d'anciens Sertorii.

Le statut des Sertorii est très différent selon les cultures (et le jeu a fait un effort pour éviter le cliché d'espèces avec une monoculture : chaque espèce a plusieurs cultures et chaque culture a des influences sur plusieurs espèces).

Par exemple, les Orcs de la République de Caelum se méfient des Sertorii et leur interdisent le pouvoir politique dans leur République (ce qui n'empêche pas leurs agents secrets de compter aussi des Sertorii). Ils sont d'ailleurs parmi les rares à avoir réussi à limiter le pouvoir terrestre des Sertorii.

A l'inverse, loin dans les jungles du sud [région qui ressemble à l'Asie du Sud-Est - ce blog de rôliste thaïlandais insiste sur les ressemblances de certaines cultures de Gamandria comme les Ogres et la Thaïlande], un groupe d'elfes Sertorii exilés par leur communauté contrôle depuis mille ans le Khata, une aristocratie-théocratie multiraciale où les castes nobles descendent des Idoles Vivantes.

Les Humains de l'Empire Ronien (dont l'ancienne capitale, Ronia, bâtie sur les ruines de l'ancien Royaume Ogre, est tombée depuis longtemps en devenant un Lieu Lugubre) ont une hiérarchie sacerdotale qui utilisent les Sertorii dans ses légions mais sans leur donner trop de pouvoir. La Confrérie de Promestus est une association ronienne de Sertorii qui lutte contre les dangers des Sertorii renégats.

Si on simplifie un peu la carte, on a en plus de la république orc et de la théocratie humaine de Ronia, les Îles d'Asharun au sud-est, qui sont un sultanat surtout peuplé de Hasri (hommes-serpents), l'Empire des Plaines de Mandaru est un khanat dominé par des Elfes nomades à cheval, les îles de Shahr est une thalassocratie des Halflings de Lurolai.

La Cité de Talyr



L'épais livre de règles (500 pages) a un gros atlas du monde en ordre alphabétique mais a décidé de détailler un centre : la Cité de Talyr, qui est aussi plus développée dans le premier module gratuit, l'intéressant Beneath the Banshee Tree.

C'est une riche cité marchande indépendante, à majorité naine, située à mi-chemin entre l'Empire Ronien au nord et les Royaumes Marites contrôlés depuis quelques années par une Sertoria, la Reine-Déesse Sabeena. Talyr se trouve aussi à côté d'un lieu de pélerinage étrange, un Lieu Lugubre plein d'émotions de Peine où serait adoré un être mystique et dangereux, l'Illuminé Kwam Jao (dit le "Compatissant").

Depuis quelques années, la Cité marchande s'est livrée à un puissant chef de guerre non-humain, Tauq le Troll, en échange de protection contre les Blemmyes. Le nouveau Roi de Talyr (qui fait 4 mètres de haut) a une politique favorable aux Sertorii et essaye d'en attirer pour le rejoindre à Talyr. Mais le vrai pouvoir derrière le trône (de jour, quand Tauq le Troll dort sous forme de statue) est son Vizir et Gardien de Sa Statue, le Sertorius Jalayn, expulsé de la Confrérie de Promestus pour son ambition.

Comparaisons

Sertorius pourrait d'abord faire penser à Birthright, le monde d'AD&D où les personnages avaient des pouvoirs divins hérités de dieux défunts et devaient se tailler des fiefs. Mais Birthright avait un but avant tout d'intrigue politique. Ici, les Sertorii se comportent plus comme des chefs charismatiques religieux d'une église à construire (un peu comme les Momies dans la nouvelle édition du jeu de rôle Mummy mais avec de vastes églises à la place de petits cultes sectaires). Au lieu de gérer des conflits politiques, les Sertorii peuvent avoir à gérer des schismes ou hérésies dans leur propre organisation quand elles commencent à compter des centaines de milliers d'ouailles.

L'autre comparaison serait bien sûr Exalted (ou bien la version old school qu'en avait fait Kevin Crawford, Godbound). Là aussi on joue des réincarnations de demi-dieux et avec le même regard ambigu sur leur hubris.

En dehors de la puissance des personnages, le monde du côté des empires romains du nord ferait plus penser à des univers comme Thennla ou Arcanis. Mais le sud plus thaïlandais n'a pas beaucoup d'équivalent.

4 commentaires:

賈尼 a dit…

C'est le même éditeur que pour l'excellent Arrows of Indra !

Phersv a dit…

Et RPGPundit, l'auteur de ce jeu, a aussi fait une critique de Sertorius.

Les influences thaïlandaises restaient relativement discrètes par rapport aux sociétés romaines et grecques. Ils ont l'air de se tourner plutôt vers un jeu Wuxia maintenant, d'après le blog de Bedrock Games.

賈尼 a dit…

C'est pas plutôt pour leur autre jeu (Wandering Heroes of Ogre Gate) ?

Phersv a dit…

Oui, c'est ce que je voulais dire, l'univers de "Qi Xien" inspiré de la Dynastie Song.

C'est basé sur le même système de règles que Sertorius mais les univers n'ont rien à voir (même si, curieusement, il y a aussi un lieu appelé "Ogre Gate" dans Gamandria).

Wandering Heroes of Ogre Gate a l'air d'avoir un peu plus de suivi que Sertorius pour l'instant.