lundi 17 janvier 2011

Jasminum officinale


  • Liberanda est Carthago. Je croyais les médias bien trop optimistes pendant les premiers jours de la "Révolution du Jasmin" en Tunisie car j'imaginais que ce serait plus un coup d'Etat interne entre des factions de l'armée et du RCD.

    Après tout, pour l'instant, le RCD et une partie du gouvernement restent bien en place, avec le même Premier ministre, et ils peuvent tenter de simplement éliminer comme bouc-émissaire la famille du Président et de la "Marie-Antoinette" Leïla Trabelsi, ce qui est une stratégie habituelle pour tout régime.

    Mais il se peut que j'aie été trop cynique si jamais ce gouvernement organise vraiment sous la pression de l'insurrection une sorte de transition et de vraies élections dans les prochains mois.

    Il semble que le régime de Ben Ali était plus "policier" que "militaire". Le pays a 10 millions d'habitants et une petite armée de terre (seulement 35 000 hommes contre une police estimée à plusieurs douzaines de milliers). Ben Ali se méfiait de son armée et le Général Rachid Ammar a en effet refusé d'obéir à ses ordres jeudi 13 janvier dernier et il fut démis de ses fonctions. C'est peut-être cette révolte du Général Ammar plus que celle de la population qui a convaincu Ben Ali de s'enfuir.

  • Il ne faut pas confondre le Premier ministre actuel Mohamed Ghannouchi (69 ans, qui est toujours Premier ministre depuis 1999) et Rached Ghannouchi (69 ans aussi, émir en exil du Parti de la renaissance islamiste, proche des Frères musulmans égyptiens).

  • Les médias français parlent le plus souvent des 23 ans de dictature au lieu de 53 ans, comme si le régime du prédécesseur Habib Bourguiba était plus démocratique. Je comprendrais que les Tunisiens, y compris les opposants, veuillent garder une image idéalisée du premier Président de la République indépendante, surtout qu'il a été renversé par un coup d'Etat "officieux" par Ben Ali en 1987. Mais, à certains points de vue la dictature de Ben Ali était parfois apparue comme moins répressive que celle de Bourguiba (par exemple, l'islamiste Ghannouchi avait été condamné à mort par Bourguiba avant que Ben Ali ne le gracie). Le régime s'était un peu libéralisé dans les années 80 avec l'autorisation de certains partis laïcs mais la démocratie était tout aussi formelle sous Bourguiba.

  • Il paraît que l'expression médiatique "Révolution du Jasmin" avait déjà été utilisée par la propagande de Ben Ali pour désigner la (très relative) "démocratisation" en 1987. L'expression doit donc paraître un peu amère chez les Tunisiens qui sont assez âgés pour s'en souvenir.

    L'expression serait peu spécifique. La Tunisie peut réclamer le Jasmin blanc comme symbole mais la ville de Damas en Syrie et le Pakistan se la sont aussi appropriés.

    Le problème de ce genre de terme est qu'après la Révolution des Œillets de 1974, il y a eu toute cette multiplication des "Révolutions des fleurs, comme en la Révolution des Roses en Géorgie en 2003, la Révolution Orange en Ukraine en 2004, la Révolution des Tulipes (aussi appelé "Jonquilles" ou "Citrons") au Kirghizistan en 2005 et la prétendue Révolution du Cèdre au Liban la même année 2005. Ce genre de vocable a été discrédité à force d'être instrumentalisé par le gouvernement américain au début de notre siècle.

  • Les "immolations" à présent en Algérie, en Egypte ou en Mauritanie ne sont pas que des effets de contamination ou d'émulation du statut de "martyr" de Mohamed Bouazizi (il y a d'ailleurs de nombreux exemples), ils pourraient aussi témoigner de manière plus vaste, à nos yeux "psychologisant", d'un nihilisme dans des pays au chomage important où on ne voit aucune autre issue (comme certaines formes de l'attentat-suicide).

    Quand des citoyens se suicident chez nous, on ne mentionne que leur "fragilité" (comme Christophe Barbier) mais il y a peu de phénomènes d'identification devant une politique de harcèlement qui pouvait contribuer à passer à ce geste.

    En France, le sacrifice symbolique d'un malade contre les franchises médicales (il avait décidé de cesser de prendre ses soins) avait eu de l'écho médiatique pendant peu de temps mais l'inertie avait vite repris et son activisme apparaît donc vain. J'imagine que même s'il mourrait, on réduirait cela à un drame individuel, comme une sorte de névrose sans dimension qui la dépasserait.

  • 1 commentaire:

    Phersv a dit…

    C'est curieux comme coïncidence ce retour de Jean-Claude Duvalier à Haïti quasiment le lendemain du jour où Ben Ali doit fuir la Tunisie.

    "Baby Doc" avait dû fuir il y a 25 ans, en 1986 et Ben Ali a pris le pouvoir en 1987.

    Je me demande si on les a déjà vus tous les deux ensemble, ou s'il s'agit d'une sorte d'Adam Weishaupt immortel.