lundi 2 novembre 2009

Going Native



Un des clichés de la science-fiction a été repris à la littérature coloniale : le colon qui prend parti (ou est absorbé) pour l'indigène contre son propre Impérialisme, il "goes Native" comme on disait. Tout Empire suscite un appétit pour ses bordures. Cela commence déjà avec les Houyhnhnms dans Gulliver mais surtout avec les Mutinés du Bounty, qui se fondent dans l'utopie insulaire. De nombreux explorateurs et administrateurs coloniaux montrent aussi des parcours semblables (cf. Isabelle Eberhardt ou T.E. Lawrence). Joseph Conrad en a usé dans plusieurs romans (même s'il a plutôt tendance à mépriser autant les indigènes que ses narrateurs, et que l'Afrique ou l'Asie représentent plus des pôles inconscients de fuite opposés à la Civilisation que des cultures réelles). En un sens, ce cliché commence peut-être dans le mythe de Superman, inversion de Tarzan ou de Flash Gordon. Robinson Crusoë, Tarzan ou Flash Gordon représentent des Occidentaux qui dominent les indigènes par leur supériorité innée, Superman, nouveau Moïse changeant d'identité, est celui qui décide de ne pas nous dominer malgré sa supériorité et de se montrer plus "paternaliste" en dépassant toute volonté de puissance.

Plus récemment, Dune ou la bd Aquablue reprenaient le cliché : l'humain exilé de l'Empire ne fait qu'un avec les indigènes et leur lien avec l'écosystème contre les intérêts commerciaux.

Mais le cliché prend un aspect particulier dans le récent District 9 et le nouveau Avatar. Dans le premier, un gardien raciste doit surveiller des réfugiés extra-terrestres emprisonnés et il contracte un virus qui l'assimile soudain à eux et qui lui fait réaliser soudain notre propre inhumanité morale vis-à-vis de ces Non-humains.

Dans le second, Avatar, un soldat terrien handicappé est envoyé dans un corps synthétique fait pour qu'il puisse s'infiltrer chez les extra-terrestres (mais bien sûr il finira par vouloir protéger la culture indigène contre les envahisseurs impérialistes - tout cela ressemble beaucoup - notamment le détail de sa paralysie dans son corps réel, qui va lui faire aimer encore plus sa nouvelle enveloppe - à la nouvelle de Poul Anderson, Call Me Joe, mais la fin de la nouvelle est beaucoup plus déstabilisante et ironique).

Une des fonctions principales de la SF est de nous faire changer de points de vue hors des limitations contingentes de notre humanité mais ici, même si on ne voit pas de meilleur moyen, il est un peu répétitif que le raisonnement moral dépende de la perspective en première personne : il faut que le sujet soit projeté littéralement dans le corps de l'Autre pour pouvoir adopter son point de vue.

En un sens, le film Enemy Mine (1985) de Wolfgang Petersen avait su poser le problème du souci de l'autre de manière plus directe avec une métaphore sexuelle ou familiale : l'humain et l'Autre Effrayant sont naufragés sur un Monde désert et l'humain va finir par adopter l'enfant de l'Autre et le considérer comme le sien. L'expérience de l'amitié et de la fécondité ou de la transmission dans le temps paraît plus riche que le subterfuge d'entrer dans l'identité de l'Autre.

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