mardi 26 février 2008

Die absolute Freiheit und der Schrecken



Zizek était à Culture Matins, ce qui changeait après le bon sens sans grand intérêt de Morin la veille. On ne savait si on devait être reconnaissant à Zizek de sa franchise provocatrice ou bien encore choqué que son auditoire le soit.

Il ne sert à rien d'isoler des énoncés ce Zizek, il dit généralement l'inverse quelques lignes plus tard. Mais dans la succession de la parole, cette magistrale dialectique ne marche pas aussi bien et on retenait plus les provocations en faveur de la Terreur et de la peine de mort que les euphémisations qui suivaient où il expliquait que la Terreur est le contraire de la Crainte, par la rationalité de l'autorité surveillante de l'Etat (en ce cas, il faudrait l'expliquer à toute la théorie de la crainte de Hobbes à Hegel).

Zizek justifiait donc la Terreur (en se réclamant de Hegel, ce qui était très curieux comme Hegel voit dans la Terreur le formalisme vide de la Volonté générale). Il dit d'une part que la Terreur était moins violente que la violence ordinaire, qu'elle était donc plus paisible, puis que la violence était utile et que c'était reconnaître la dignité du prisonnier que de le tuer, ce pourquoi il trouvait la Peine capitale plus respectueuse qu'un abolitionnisme déresponsabilisant (ce qui est un vieil argument de Kant, Rousseau et Hegel contre Beccaria). On aurait reconnu un argument du chaudron typique quand on est en situation de contradiction : ma thèse n'est pas du tout P et d'ailleurs P est juste, je ne vois pas pourquoi je n'aurais pas le droit de dire que P.

Il a ainsi dit qu'il fallait réhabiliter la violence, puis qu'il parlait de la violence métaphysique et qu'il n'y avait rien de plus violent que le Sujet cartésien (s'arrachant aux préjugés, j'imagine ?). Ali Baddou a compris "métaphorique" au lieu de "métaphysique" et Zizek a alors tenu à dire que non, cela n'avait rien de métaphorique (mais le Grand Autre seul sait ce qu'un Lacanien peut vouloir dire par là).

L'humour spéculatif est une ruse à double tranchant. C'est dire quelque chose et dire en même temps que vous êtes sot si vous le croyez, mais qu'il y a quelque chose de vrai si c'est drôle. Zizek dit en riant qu'il ferait des camps de rééducation pour qu'on le comprenne et je dois avouer que j'ai ri avec lui. Mais ce qui devenait plus drôle était que les autres ne riaient pas et qu'ils firent alors remarquer qu'on ne devait pas rire avec cela. La blague se retournait car c'était le fait qu'il trouve qu'on puisse en rire qui trahissait ce qu'il prétendait dénier.

Puis il redressait le cap et disait qu'il avait bien sûr toujours été anti-totalitaire et un dissident contre le régime yougoslave en Slovénie. Mais il faut lire de près ses textes. Il dit qu'il est bien sûr contre le totalitarisme mais qu'il est pour le volontarisme de Lénine en 1917 contre les Lois de l'histoire. Lénine était d'ailleurs le grand absent de l'interview qui se limitait à Robespierre (alors que Zizek vient aussi de publier un commentaire élogieux de ce qu'il considère comme le modèle du théoricien dans l'action). Or le jacobin rousseauiste présente quand même des différences avec le Russe marxiste, contrairement à ce que des analogies et des Livres noirs voudraient faire croire. On n'imagine pas Lénine militer pour l'abolition de la peine de mort comme le fit en un premier temps Robespierre.

[J'aurais cru que même les gauchistes les plus bornés auraient au moins tenu compte de l'argument de Luxembourg au sujet de ce despotisme éclairé. Elle expliquait qu'en voulant guider l'avant-garde léniniste conduisait toute révolution à la dictature - mais elle semblait croire à une sorte d'inventivité spontanée contre cette avant-garde qu'elle appelait parfois "empirisme", ce qui aurait été un gros mot pour tous les hégéliens. Il est vrai que cette critique théorique et pratique n'était peut-être en réalité que de circonstance.]

Zizek dit (en citant Badiou) qu'il est pour une "bonne Terreur", avec sa faculté émancipatrice. Il a repris l'argument des bonnes intentions au-dessus des retournements tragiques, mais il se contredisait aussitôt en disant qu'il ne croyait pas que ces échecs n'étaient que des accidents, ils étaient nécessaires. Or si on a l'intention de faire le bien mais que l'action qu'on suit conduit nécessairement (et non pas accidentellement) au mal, je ne crois pas que la doctrine de la "Bonne Volonté" aux mains propres puisse vous sauver.

Par la suite, il est devenu encore plus incohérent, citant de manière défensive certaines de ses analyses les plus fines, comme une sorte de florilège de ses sketchs de film studies, alors que ça n'avait rien à voir avec le débat. On voyait très bien qu'il faisait écran avec une abondance d'arguments brillants pour ne plus être entraîné dans un terrain dangereux. La stratégie rhétorique de Zizek est vraiment faite pour des colloques académiques. Il sait lancer des slogans qui vibrent chez les commentateurs de Hegel ("il faudrait d'abord partir de la question de la substance éthique"), sans donner une seule réponse.

Slama l'attaquait assez mollement en recyclant du Aron (et un peu de Gauchet). Ali Baddou semblait jouer l'effarement sarcastique devant l'éloge de la peine de mort mais n'avait pas de contre-argument. C'est souvent le problème de notre libéralisme moderne : nous appliquons les principes mais sans trop savoir pourquoi, sans en retrouver la rationalité, ce qui semble toujours donner l'avantage aux critiques de la démocratie.
Enfin, Adler était bienveillant, ce qui était encore plus condescendant, ramenant les théories de Zizek à du folklore balkanique (il l'a comparé à Kusturica, et malgré toute ma zizekophobie, j'ai trouvé ça très déplacé). Il prenait le ton protecteur d'un impérialiste émerveillé par les "marges", et un air grand-seigneur pour expliquer par l'irrédentisme de Trieste (cliché vraiment hors-sujet), l'auto-gestion et le commentaire de Heidegger sur le mot "Dieu est mort" ce qu'il venait d'entendre.

Mais là où France Culture, comme Libération la semaine dernière, commettent à mon sens une erreur, c'est dans l'interprétation précise de ces auteurs comme un simple retour à la radicalité totalitaire du XXe siècle. Ce qui est original est une volonté consciente de se réclamer de toutes les radicalités y compris conservatrices et fondamentalistes religieuses. Ils veulent parfois, au nom du rejet de la globalisation, prendre appui sur le conservatisme, ce qu'on n'aurait pas imaginé dit si franchement par des staliniens classiques (à la rigueur par des anarcho-syndicalistes et par des fascistes avant la Grande Guerre). Le stalinien post-moderne a un prolétaire plus fantomatique au lieu du Sujet de l'Histoire et il prétend s'appuyer avant tout sur "l'universel pur" dont le modèle pour les deux auteurs est la Communauté des Croyants, l'Eglise ou le Saint Esprit, façon confuse de faire passer sous ces spectres leur fausse monnaie.

Une innovation est de passer du prolétaire à l'exclu, du travailleur Sans Propriété à l'individu Sans Papiers. Alors que leur marxisme critiquait les droits formels au nom de l'égalité réelle, ils préfèrent défendre les derniers privés de droits civiques plutôt que les prolétaires-consommateurs qui commencent tous à être achetés par de petits pécules - voire des pécules imaginaires ou négatifs par les mécanismes du crédit. En défendant le non-citoyen dans l'étranger, ils sont donc passés dans la phase suivante du processus démocratique qui n'a pourtant pas encore obtenu l'égalité réelle pour les travailleurs et pour les femmes.

La gauche et la droite ont souvent joué à inversé leurs valeurs. La nation a commencé à gauche du Printemps des peuples à l'Internationalisme, l'idée d'Europe était à droite au XVIIIe et elle l'est redevenue (en gros) depuis les années 1980. Je me demande parfois si malgré la réaction conservatrice spéctaculaire (la Pologne, BerlusconiSarkozy, Benoît XVI intervenant directement dans les élections en Espagne), on ne se dirige pas paradoxalement vers l'idée que la laïcité deviendrait un jour une valeur contre une partie de la "gauche radicale" alliée à la droite conservatrice, en un étrange réalignement des communautarismes opposés contre les droits formels et abstraits. On peut constater déjà qu'au Royaume-Uni la laïcité est défendue par des conservateurs (parfois pour de mauvaises raisons, qui ne cachent que la xénophobie), mais c'est peut-être un signe d'une évolution future.

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